50 nuances de folie clinique #Episode 1 : Le grand saut

On connaît tous ces fameux mythes et légendes urbains qui narrent les histoires d’hôpitaux psychiatriques douteux où les fous font la loi. Où les patients dialoguent dans le vide, grattent les murs comme des tigres affamés sur de l’herbe à chat. Des images amplifiées par le phénomène « American Horror Story » et sa musique lancinante qui vous trotte dans la tête comme un vieux remix adapté façon « Exorciste ». On nage dans un bain scabreux où la psychiatrie fout les chocottes. On grandit donc avec cette idée préconçue que le mot « psychiatrique » signifie « malade mental bon à enfermer ». C’est comme ça. Il y a des sujets difficilement abordables, même en 2015. Et malgré les nombreux progrès recensés, une personne souffrant de troubles psychiatriques sera soit considérée comme un fou furieux à éviter, soit comme un malade imaginaire (RIP Molière).

Au final, les maladies psychiques n’ont pas bonne réputation. Alors, essayez de parler avec une personne qui ne connaît aucunement ce genre de troubles… Et vous verrez dans ses yeux toute l’incompréhension et le jugement possible. Déclarer ouvertement que l’on souffre de telles ou telles maladies psychiques, revient à faire une croix sur sa vie sociale. Enfin vous pourrez toujours en discuter avec d’autres malades autour d’une prise médicamenteuse, ou lors d’une soirée beuverie avec le groupe des AA. C’est déjà ça de gagné. Des soirées festives saupoudrées de Xanax vous attendent.

Suprise bitch

I’m back pour le pire… et le meilleur… euh non

Mais la vie en clinique psychiatrique est assez éloignée de ces stéréotypes. Je pense avoir vu l’envers du décor à de nombreuses reprises. Et je vais vous la faire partager.

Pénétrer en tant que patient, pour la première fois, dans un service psychiatrique, c’est un peu comme vous retaper votre première bonne vieille gueule de bois. Je parle bien ici de la VRAIE bonne cuite, celle où vous vous réveillez la tête dans votre propre vomi, nu, enrubanné dans du cellophane. Un appendice masculin dessiné au marqueur sur le front.

Une première hospitalisation… c’est sombrer dans l’inconnu. On savait que tôt ou tard, on devrait passer par là. Mais on espérait (secrètement) y échapper, c’est un peu notre youporn à nous, on sait que dans la réalité ça ne se passe pas comme ça, que trop d’incapacité à s’en sortir psychologiquement conduit à l’aide médicalisée… Néanmoins, notre cerveau préfère se leurrer et croire tranquillement à ses chimères.

Mais bon, revenons à nos moutons. Je me souviens de l’une de mes virées les plus marquantes en clinique. Certainement celle où les murs de mon esprit s’étaient le plus recouverts d’ombre. J’étais dans une putain de nuit permanente, même esquisser un sourire m’était devenu improbable. J’avais oublié, j’étais juste une pliure de souvenir, le regard ecchymose. On devient peu de choses, vraiment peu de choses lorsque notre vie tourne autour d’un seul repère. J’étais obsédée, obnubilée par mes peurs et cette envie violente de vivre qui se heurtait à tout ce que je faisais pour crever. J’avais accepté à reculons ce que les médecins jugeaient bon. Seulement, j’étais si fragile, si malade, que céder à leur demande me torturait davantage encore.

Fille en enfer

L’Enfer déploie ses ailes machiavéliques

Et me voilà débarquant la fleur au fusil, une stupide grimace scotchée aux lèvres, à triturer mes cheveux pour cacher ce que je pouvais de mon visage. Pavillon Louis III, s’il vous plaît, la grande classe monégasque en matière de psychiatrie. Après l’admission, les retards coutumiers des infirmiers, l’absence des « bons » médecins, les promesses échangées (ad vitam æternam) avec mon père, je me retrouvai seule. Livrée à moi-même dans ce qui serait ma chambre. Le beige un peu blanc cassé des murs confirmait l’aspect purement clinique. Je retrouvais cette odeur familière d’hôpital aseptisé. Et il est certain que je ne m’y habitue toujours pas.

Après avoir terminé de ranger mon énième livre sur la table faisant office de bureau, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire pour passer le temps. C’était seulement la deuxième fois que je partais en convalescence dans un service pour adultes (c’est tout de même plus cool qu’une semaine en spa, non ?). Et comme à l’accoutumée, mon angoisse s’intensifiait. Je tournais en rond comme une lionne en cage. Au bord des larmes, je me demandais ce que je pouvais bien foutre ici, encore. Je voulais déjà partir, alors que cela ne faisait même pas une heure que j’étais seule. J’avais minimum deux semaines à tirer, le temps que les psychiatres et autres freluquets optimisent leurs tests. Et déterminent quel trouble de la personnalité je pouvais bien avoir. Borderline ? Bipolaire ? Ou simplement anorexique-boulimique souffrant d’agoraphobie aiguë ?

That is the question. J’en sautais de joie par avance. Quelle étiquette allaient-t-ils me coller ? Roulement de tambours. La suite, après une page de publicité.

Silent hill

Nulle échappatoire

Bref. Après avoir compté le nombre de carreaux, fini un bouquin, commencé un tricot, je pris mon courage à deux mains pour me lancer dans une petite expédition dans les locaux. Enfin, c’était surtout l’heure de dîner. Et l’infirmière était déjà venue à deux reprises me prévenir. 18 h 15, ça fait tôt même pour les poules, mais bon. A contre cœur, je longeais les couloirs, à petits pas pressés, je rencontrais alors plusieurs visages inconnus. Tous différents, des parents, des grands-parents, certains les traits marqués avec des valises sous les yeux, d’autres portaient leurs cœurs aux creux des paumes, un sourire accueillant du bout des lèvres. D’autres encore marchaient le visage dur, fermé, une colère dans le poing, des mots coincés dans la gorge. Mais tous possédaient cette même brume dans le regard, ce truc qui fait qu’on se reconnaît en eux, ce quelque chose d’indescriptible mais sans vraiment savoir pourquoi ça te marque au fer rouge.

Regard malade

Pourquoi en sont-ils là aujourd’hui ?

Ma peur du jugement toujours présente s’enfouit un peu dans mon ventre. Et je pus décocher un sourire que j’espérais bienveillant. Arrivée devant ce qui était le self, je pris le plateau qui m’était attribué et comme on me l’avait prescrit, je partis dîner devant la salle de soin, loin du self et des regards indiscrets. Seule devant mon plateau repas, j’étais incapable d’avaler quoi que ce soit, j’écartais la nourriture comme à mon habitude, pour faire genre « j’ai quand même pioché trois courgettes ». Jouant sur Farm Heroes, je sursautais légèrement lorsqu’un intrus prit place. Levant les yeux de mon écran, mon regard croisa des yeux d’un noir incandescent.

La première fois que je la vis, je la pris pour une sorte de Pétronille. Sa chevelure courte, son style vestimentaire, la carrure espiègle de ses traits lui donnaient des airs de Bad boy anglais. Seulement, son visage poupin et ses deux grands yeux de biche suffisaient à semer le doute sur son âge. Puis la fameuse coutume des patients débuta. C’est une sorte de rituel lorsque qu’on débarque dans un service psy, on explique mutuellement les raisons de notre hospitalisation, ainsi que nos antécédents. Bien entendu, rien ne nous force de tout dire à l’autre, mais généralement, on montre patte blanche et sans faire gaffe, on tisse un lien particulier avec cette première personne. Elle entama naturellement la conversation et me confia avoir 24 ans. (Je lui en aurais donné 17. C’est dire à quel point je me pris à penser à la Pétronille de Nothomb). Puis tout y passa, elle me raconta sa boulimie vomitive, ses problèmes familiaux, qu’elle en était à son quatrième passage ici, que la clinique venait de la diagnostiquer borderline, avec une note de bipolarité. Après avoir échangé sur notre passé similaire, je lui fis à mon tour part de l’enjeu de ma venue et de mes espoirs.

Comme d’habitude, je pus constater que le fait de pouvoir parler avec quelqu’un qui se trouvait être capable de me comprendre, était un déclencheur chez moi. Et sans vraiment m’en rendre compte, je me déversais en un flot de paroles discontinu. J’en avais dit plus sur moi à une personne que je venais de rencontrer qu’à mon entourage, à qui je cachais tout ceci. Le comble, pas paradoxal pour un sou.

I need a cigaret

Une ptite’ clope stp

Fumeuse, elle devait terminer son repas par une clope, j’acceptais donc de la suivre vers ce qu’elle disait être une terrasse. Traverser le self sous les quelques regards des derniers patients fit grimper mon stress, mais nous nous installâmes sans encombre (et encore en vie) sur ce que je m’amusais à nommer la « pergola ». Deux autres personnes prirent part à notre conversation, bien que gênée, je répondis à l’interrogatoire des deux femmes. Surprises par mon arrivée et ma jeunesse, elles furent tout de même très aimables avec moi. La plus âgée des deux avait 55 ans, mère de deux enfants, elle souffrait de bipolarité et en était à son énième séjour ici. En l’écoutant, je fus frappée par sa nonchalance vis-à-vis de ses problèmes et de son entourage, elle semblait avoir perdu toute notion de responsabilité familiale, c’était  vraiment déconcertant. Et égoïstement, je pris peur, je ne voulais absolument pas finir comme ça. Ma bouche frémissait de curiosité. Mais par respect et par gêne, je me tus.

Mes pensées grondaient, j’avais mal pour elle, mais aussi pour sa famille. Comment ses enfants vivaient-ils cela ? Et son mari ? Pense-t-elle aussi à eux ? Se rend-elle encore compte du mal qu’elle peut insuffler autour d’elle ? Beaucoup trop de questions se bousculaient dans mon crâne. J’étouffais, j’avais chaud, pourtant mon corps tremblait de froid. J’étais paralysée à l’idée de me voir devenir comme elle, des années plus tard. L’étau dans mon ventre me brûlait, il fallait que je décampe vite fait d’ici. Alors, comme une pie voleuse, je pris la poudre d’escampette. Après avoir traversé les couloirs à grandes enjambées tel Speedy Gonzalez, ma course folle se finit devant ma porte de chambrée. Écouteurs dans les oreilles, Radioactive en boucle. Je me jetai alors sur le lit à la manière d’un mauvais téléfilm dramatique, concluant que c’était quand même une putain de mauvaise journée !

Mais, demain le manège m’offrirait un second tour de carrousel. Il était temps pour moi de fermer boutique.

Doctor Lilith

Crédit de une : julie009.deviantart.com

Doctor Lilith

Ecrire une description, est un art fastidieux. Ce n'est jamais simple. Ces quelques lignes vides, cet écran vide de lettre, vide de mot. Devient alors aussi angoissant que ce fameux syndrome de la page blanche. Qui suis-je ? Que puis-je écrire sans mentir ? Que dois-je dire ? Toute une série d'interrogations qui se bousculent, se pressent dans mon esprit. Je pourrais me décrire, je pourrais écrire ces pompeuses banalités, celles qui englobent à peu près, chaque personne de ce monde. Mais finalement, transcrire ces futilités se révèlent plus qu'inutile. Alors autant, se taire. Ce que je suis ? Je l'ignore. Du moins, je ne le sais pas. Pas totalement. Le silence. Cruel mais apaisant. Il exprime tellement plus de choses... Écoutez-le.

3 Comments

  1. Et bien si vous le faite, je vous lirais avec plaisir. Les expériences peuvent être bien différentes selon les lieux, et les patients. Tant mieux, d’ailleurs.

  2. Je vais vous raconter prochainement mon internement en 1977,ce fut une révélation,j’ai tellement appris que ça reste un beau souvenir.

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