50 nuances de folie clinique #Episode 4 : What’s wrong with you ?

10h13 : le ménage.

Un des deux hommes va bientôt venir. Je me revois à la fois embêtée et stressée, zieutant la porte sans arrêt. Je faisais le pied de grue, assise façon araignée coincée dans sa toile. J’essayais de lire sans grande réussite un énième bouquin d’Onfray (histoire de paraître moins oisive). Tout était fait pour éviter qu’il me perçoive comme une greluche stupide. Je me retrouvai avec une boîte à pop-corn dans le crâne. Je regardai autour de moi, vérifiant si tout était bien rangé… convenablement : mes chaussures bien placées, ma valise fermée, qu’aucune petite culotte ne traîne (évitons les rougeurs aux joues), mes affaires de toilette bien alignées. Il venait pour nettoyer, seulement comme toujours lorsque je devais vivre seule… (J’entends par là, vivre hors du cocon familial), je devenais alors limite maniaque. Chose complètement invraisemblable pour mes géniteurs. Il faut dire qu’ils ont vu le pire comme le meilleur de mes actes de fée du logis. Pour eux, me voir ordonner un lieu du sol au plafond… cela relevait de l’imaginaire.

D’un point de vue médical voire symptomatique, mon côté bordélique allait de pair avec la perte de contrôle liée à la boulimie… En effet, beaucoup de jeunes femmes en période dite de « crise obscure », devenaient totalement bordéliques et ce dans tous les domaines. C’est quelque chose de récurrent chez les personnes atteintes par ces troubles. Mais pour le reste du monde (les souffrants également), cela relève plus de la flemmardise que de la maladie.

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Mais bordel !

Il faut savoir qu’en période de boulimie, le fonctionnement déraille. On n’est plus qu’une plaie béante, à fleur de peau, un tas d’émotions, un élastique trop tendu nous explosant en pleine figure. Je me retrouvais avec mes démons les plus obscurs. La douleur est atroce à un tel stade, que se faire du mal est la seule chose que l’on puisse faire. Oui, il faut le comprendre ! Pour quelqu’un souffrant d’anorexie mentale la pire chose est de grossir. Donc manger par plaisir est proscrit, interdit, voire ça n’a jamais existé. On renie alors tout ce que l’on disait aimer : « Mais Lilith avant tu aimais la glace à la vanille… Tu adorais la viande ! »

Oui. Mais non. C’est faux. Tu nies. Tu as changé. Il faut contrôler, calculer la moindre lamelle de concombre. En clair, la boulimie devient (est et restera) ta pire ennemie. A contrario, tu en viens presque à regretter ton abominable amie l’anorexie. La perte de ce contrôle est ce qui te fait le plus peur. Mentalement, quand tu sombres en crise, c’est comme si tu voulais crever. Tu n’es que chair en fusion. Seulement, tu te retrouves trop lâche pour en finir. Alors, tu restes et te jettes sur la bouffe comme un ogre affamé, tu dévores, tu ne mâches même pas. Tu te goinfres, t’engloutis. Plus ça avance, plus ta panse grossit, plus ton âme rétrécit. T’es du sang, noir, glacé. T’aimerais te foutre en l’air. Toi qui étais capable de manger grain de riz par grain de riz, tu deviens un sale petit porc. Rien que cette pensée te donne l’envie de vomir, de te vomir. T’as des larmes plein la gueule, des griffures dans la bouche. Et tu te déconnectes de la réalité… Les premières crises ça fonctionne. Tu parviens à relativiser, à te trouver des excuses, t’essayes d’éloigner la pétasse culpabilité, ce cercle vicieux qui t’étrangle. Tu penses contrôler. Tu n’as jamais cru les autres. Eux tombent dans l’addiction, mais toi non. C’est juste une période. Un truc que tu t’accordes. Tu arrêtes quand tu veux. Mais tu deviens l’as de pique, de cœur, de trèfle en matière de procrastination. Tu as un vieux disque rayé dans le cœur, dans le crâne. Chaque jour, tu te dis : « plus jamais, plus jamais ». Et à chaque fois, ça ne te loupe pas. TU ne te loupes pas. Et une fois que la machine est lancée, c’est presque impossible de l’arrêter. C’est une sale habitude que tu vas prendre. Un poison, une morsure, une impudeur. Quelque chose qui s’insinue sous ta peau, dans ton sang, ça te ronge peu à peu, ça remplace tout ce qui faisait que t’étais toi. Et en croyant contrôler, en pensant  t’autoriser, c’est foutu, débordement… Tu te condamnes à perpétuité. La peine est tatouée sur ton corps. Et tu ne cesseras d’être retors.

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Il n’y a pas de pile ni de face

En outre, beaucoup décrivent les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire comme des menteurs compulsifs, des manipulateurs ingénieux voire des acteurs redoutables. Ce qui n’est pas entièrement faux. Cela serait me leurrer que de dire le contraire. Seulement, le plus important n’est pas les mensonges que la maladie engendrent, mais ce qu’elle fait croire à sa victime. On ment, on cache. Mais surtout, on se fourvoie et on se voile la face. Ce qui bloque toute guérison, ce sont bel et bien toutes ces certitudes que l’on pense détenir sur notre corps, sur la vie.

J’en étais la preuve vivante. Comme beaucoup de jeunes femmes que j’avais rencontrées, mon comportement alimentaire tendait à me faire passer pour une folle aux yeux des personnes ignorantes de ces troubles. Paradoxale !  Médecins comme parents ne cessaient de me le dire. C’est un des termes qui me décrivaient le mieux. Je l’étais déjà autrefois, mais après l’implantation sinueuse de la maladie, je l’étais devenue totalement.

 Bref, revenons à nos moutons. Le désordre comme l’ordre était un des phénomènes de mes troubles. En service psychiatrique, des employés viennent faire le ménage chaque jour (à ta place). Ce qui m’a toujours gênée. Je ne considérais pas du tout leur labeur comme un sot métier, loin de là… Néanmoins, ma nature de jeune femme assez réservée compliquait tout ceci. En effet, la présence des uns me mettait déjà assez mal à l’aise d’ordinaire. Alors voir quelqu’un se cambrer d’efforts pour moi renforçait mon stress. Naturellement, j’en suis venue à établir des stratagèmes afin d’éviter d’être présente dans ma piaule à ce moment là… Sauf que mon timing n’était pas toujours très ajusté. Surtout, lors de mon dernier séjour, où l’ennui transpirait dans les murs, dans le regard de chacun. Par conséquent,  je sortais le plus rarement possible de ma chambre. Et naturellement, je n’avais que peu de motifs récréatifs pour m’extirper de là.

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Déjeuner en paix, non je déconne !

J’étais assise sur mes draps jaunâtres après avoir tout rangé le plus habilement possible en laissant toutefois des traces évidentes d’une vie dite « saine » : Le Petit Poucet en clinique remake adapté par Lilith, l’histoire d’une greluche qui semait des miettes de vies comme des morceaux de pain. Douce ironie ! J’essayais toujours de sauver les apparences, alors que j’étais bel et bien en HP. Et il était certain que les employés de ménage, eux aussi, ne pouvaient passer à côté de cette évidence… M’enfin, je tenais à ce qu’ils ne me considèrent pas comme une empotée. Surtout que j’étais la cadette du service… Donc bon, j’avais un rôle à jouer.

Je me souviens bien de ces matinées où je guettais leur arrivée, comme une lionne traquant son gibier, mon lit étant les feuillages qui me camouflaient. J’étais à l’affût, je guettais chaque bruissement de pas, chaque cliquetis de clef, prête à bondir afin de prendre une posture où je pourrais faire taire ma honte et ma gêne d’être moi.

En attendant que les heures défilent, je luttais pour ne pas m’endormir. Ce n’était pas le moment. Vraiment pas. Avoir le visage bouffi, très peu pour moi. Je ne voulais plus ressentir cette impression de prise en flagrant délit… Lorsqu’ils débarquaient la fleur au balai dans ma chambre… Non, non et non. Je ne voulais surtout pas. Hors de question. Quand bien même mes yeux me piquaient, je devais rester éveillée. Mes nuits sans sommeil frappaient à la porte de mes paupières. Chaque fois qu’un jour de plus s’écoulait, une enclume de plus se posait sur mes cils. La fatigue chronique me rattrapait. D’ailleurs, elle croissait souvent, lorsque que j’entrais en HP. La faute à ma dénutrition et à mon manque de potassium. CQFD, docteur ! Éviter ceci était devenu ma mission prioritaire. Je tenais à ne plus subir cette honte. Je l’avais déjà à de nombreuses reprises éprouvée lors de mes précédents séjours.

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Je me retranchais derrière mes cheveux

 Cela faisait deux jours à peine que je logeais dans ce service monégasque. Le seul contact « rassurant » que j’avais eu avec le personnel, était mon interaction avec celui que je surnommais « L’Ouroboros bleuet » (son tatouage au cou en forme de dragon m’avait marquée, tout comme ses yeux aussi bleus que limpides). J’ignorais son patronyme, toutefois, j’étais tantôt rassurée par son regard, et tantôt légèrement gênée par son regard soutenu. Je savais que le ménage du matin était un des points repères de ma journée. C’était un des moments « sociaux » de mon quotidien clinique. Un des instants où je jonglais avec mes cheveux, autant que je pensais de façon frénétique. Cherchant à déterminer si je devais parler avec la personne pénétrant dans « ma piaule », ou si je devais me taire et faire comme si j’étais terriblement prise par ma lecture… Quel dilemme cornélien !

Seulement, la mécanique du temps refusait d’accélérer, luttant contre l’envie de piquer du nez dans mon oreiller. Je pris mon journal intime afin d’y écrire un peu. Pour vous donner un exemple, en cette matinée mon état d’esprit ressemblait à ça…

« Je suis un paradoxe. Je veux être heureuse, mais je ne pense qu’à des choses qui me rendent triste. Je suis paresseuse, tout en étant ambitieuse. Je ne m’aime pas, mais j’aime aussi qui je suis. Je dis que je me fous de tout, mais je ne le pense pas vraiment. Je sollicite de l’attention, mais le rejette quand on m’en donne. Je suis victime d’un conflit permanent, en constante contradiction. Si je ne peux pas me comprendre, il n’y aucun moyen pour que quelqu’un y parvienne. »

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Je ne sais pas ou plus qui je suis

Des mots qui me tenaient vraiment à cœur à l’époque, et qui je pense m’affecteront toujours. Un jour, un homme m’avait dit : « Il est joyeux de savoir que la vie est triste ». Je suis aujourd’hui certaine qu’il avait raison. Même si ma souffrance est handicapante, elle m’a permis de comprendre la complexité d’une personnalité ainsi que d’avoir un œil neuf sur ma lucidité.

Absorbée par mon écrit, je ne fis pas attention au bruit de la porte. L’Homme de chambre débarqua sans que je ne fasse trop attention à mon stress. Libérée par mon écriture, j’eus le plaisir d’échanger quelques mots avec mon Ouroboros bleuet, sans trop me cacher derrière mes cheveux. Son sourire se lisait dans ses yeux. Les mots s’échappant de sa bouche étaient comme une délicate musique exotique, son accent indéfinissable et ses questions sur mes livres m’offraient une grande fraîcheur. Et pour cela, pour ce petit moment de vie, je le remerciai silencieusement.

Grâce à lui, je venais d’apprendre que les tableaux aux phrases blanches sur fond noir «by Ben » qui quadrillaient les couloirs de façon hilarante n’avaient pas changé depuis des années. En effet, certaines expressions m’avaient interloquée, leurs significations n’étant pas anodines. Après une enquête rapide auprès de différentes infirmières, je compris que le pavillon faisait auparavant office de service pour aliénés très âgés (maladie longue durée). Après cette découverte scabreuse, je m’étais mise en quête de vérité, histoire de pimenter un peu mon séjour (on fait avec ce qu’on a)… En mode Indiana Jones, je souhaitais dénicher ce qui restait des contentions et des salles capitonnées.

Je riai intérieurement, en pensant à ma période « spies » lorsque j’étais plus jeune. Finalement, un peu d’action se profilait peut-être.

Doctor Lilith

Crédit de une : deviantart

Doctor Lilith

Ecrire une description, est un art fastidieux. Ce n'est jamais simple. Ces quelques lignes vides, cet écran vide de lettre, vide de mot. Devient alors aussi angoissant que ce fameux syndrome de la page blanche. Qui suis-je ? Que puis-je écrire sans mentir ? Que dois-je dire ? Toute une série d'interrogations qui se bousculent, se pressent dans mon esprit. Je pourrais me décrire, je pourrais écrire ces pompeuses banalités, celles qui englobent à peu près, chaque personne de ce monde. Mais finalement, transcrire ces futilités se révèlent plus qu'inutile. Alors autant, se taire. Ce que je suis ? Je l'ignore. Du moins, je ne le sais pas. Pas totalement. Le silence. Cruel mais apaisant. Il exprime tellement plus de choses... Écoutez-le.

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