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Whiplash : un drame jazzy

J’ai entendu parler de ce film lors d’une soirée entre amis. L’un d’entre-eux fit la publicité de Whiplash.

— J’ai vu un super film sur le jazz, fit-il.
— Bof ! Je suis plutôt rock.
— Mais si ! Tu vas être scotché par ce huis clos haletant.
— Mouais ! Je t’écoute.
— Tu connais le saxophoniste Charlie Parker ?
— Charlie non ! Mais Maceo oui ! Ils ont un lien de parenté ?
L’ami leva les yeux au ciel avant de reprendre :

— Pas que je sache ! Tu connais Bird ?
— Bird ! C’est par le film d’Alan Parker avec Nicolas Cage ? fis-je fièrement.
— Non ! fit-il agacé. Le film dont tu parles, c’est Birdy. Je parlais du film de Clint Eastwood avec Forest Whitaker.
— Ah ! Je ne savais pas que ce pied tendre de Clint1 avait réalisé un film sur le jazz.
— Ben si ! C’est un grand fan de ce style musical. Son fils Kyle aussi.
— Comme Kyle Reese, celui qui vient sauver Sarah Connor dans Terminator ?
L’ami était désespéré :

— Tu m’as l’air un peu bourré ? A moins que tu aies décidé de m’emmerder ?
— Non ! Vas-y continue
— Je n’ose même pas te demander si tu connais les Marsalis ou bien Herbie Hancock ?
— Ah Si ! Je connais le dernier !
— Ah bon ? Les bras m’en tombent.
— Ben si ! Une de ses mélodies a été reprise par le groupe Deelite.
L’ami ne savait pas quoi répondre. Il était en pleine réflexion :

— Ça me dit quelque chose !
Afin de l’aider, je lui chantonnai Groove in the Heart.

— Ah oui ! Je vois ! Mais je n’avais jamais fait le lien.
— Figure-toi que dans le clip, il y a même une apparition de Maceo Parker et Bootsie Collins, des grandes références du funk.
— Merde ! Je ne connais pas ce Collins. Tu es en train de me la faire à l’envers, là ?
Malgré mon esprit embrumé, je décidai de recentrer le débat :

— Au fait ! On parlait de quoi ?
— De Whiplash !

Suite à cette conversation, Whiplash devint une source de discorde entre nous, similaire au thème du film. Il me harcela pendant des semaines pour que je le visionne. Tout compte fait, le jeu en valait vraiment la chandelle ou plutôt la cymbale.

Une histoire de cymbale

Whiplash est un film qui va à l’essentiel. Les personnages sont peu détaillés, seul leur rapport à la musique est abordé. Le réalisateur, Damien Chazelle adapte habilement la confrontation entre un professeur et un de ses élèves, son batteur. Tout cela sur fond d’une anecdote de cymbale. Celle-là même qui aurait été lancée par le batteur Jo Jones sur le saxophoniste Charlie Parker, suite à un léger désaccord musical. Un sanguin ce Jo ! À la suite de cette humiliation, ce bon vieux Charlie se remit en question pour devenir cette légende nommée Bird.

J.K. Simmons, dans le rôle du professeur, utilise cette anecdote comme moyen d’apprentissage. J’ose espérer que cette ambiance de travail n’est pas la norme au sein du corps enseignant ou dans le milieu de l’entreprise (peut-être chez France Telecom). Imaginons une altercation entre un maçon et son chef de chantier. Ce dernier ayant un point de vue très critique sur la qualité du travail de son ouvrier :

— Il n’est pas droit ce mur ! se plaindra-il.
— N’est pas portugais qui veut.2

Si le chef de chantier utilisait les mêmes méthodes que le professeur, il lancerait un sac de ciment à son employé, en signe de désapprobation. Dans notre exemple, le chef est un ancien haltérophile d’Europe de l’Est. Par conséquent, pour ce cher athlète, balancer un sac de ciment, s’apparenterait à un lancer d’oreiller. Je ne crois pas que l’ouvrier soit des plus motivés suite à cela et une fois cloué dans un lit d’hôpital.

Miles Teller interprète un jeune batteur de jazz s’entraînant sans relâche, jusqu’à la limite de l’épuisement afin de devenir the best one. Le genre de performance physique qui nous fait penser à Angus Young, guitariste emblématique du groupe AC/DC. Lors des concerts, ce dernier joue des solos interminables et tellement éprouvants, qu’il est obligé d’avoir une bouteille et un masque à oxygène à disposition sur scène ou dans les coulisses. L’une de ses pauses oxygénées sera enregistrée lors de la tournée Let there be rock au Pavillon de Paris en 1979. A titre d’exemple, sa performance à Munich en 2001 :

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=DA50zteAbeA]

Des acteurs inconnus ou presque

Les acteurs du film n’ont pas une filmographie des plus impressionnantes. Pas méconnus, pas réellement connus non plus.  J.K. Simmons a été vu dans plusieurs séries télé, la plus marquante étant OZ. Il est aussi apparu dans quelques films : en l’occurrence, de brefs passages dans la trilogie de Spiderman de Sam Raimi. Il y joue l’odieux directeur du journal, le Daily Bugle, patron de Peter Parker (et non de Charlie). Le père du batteur (Paul Reiser) a interprété un rôle de tête à claques dans Aliens le retour de James Cameron, cherchant des noises à Sigourney Weaver durant tout le film.
— Leave Ripley alone !3

Un film qui donne à réfléchir

Moins dure sera la chute…

Le résultat est impressionnant. Un film qui nous tient en haleine et une bande son (même pour les non-initiés au jazz), qui nous immerge complétement dans le monde si singulier de la musique, à quelques détails près. Les musiciens trouveront toujours à redire sur l’attitude des protagonistes. Mais quoi de plus normal : les acteurs ne sont pas des musiciens, simplement des interprètes. Le film a le mérite de nous faire réfléchir sur les limites de l’apprentissage et sur le rôle de la musique dans la société.

Alors simple distraction, vrai métier ou discipline sportive ?

1Référence à une réplique de Biff Tannen dans le film Retour vers le futur III
2Référence à la famille portugaise dans le film La Cage Dorée
3Référence à la vidéo de Chris Crocker, Leave Britney Alone !

Doctor Olive

Crédit de une : onrembobine.fr

Doctor Olive

Je pense donc j'écris... comme un écrivain du dimanche. Oscillant entre le sérieux et l'humour, parfois absurde, je privilégie les auteurs un peu barrés, qui savent mettre la plume sur les travers de nos sociétés, en l’agrémentant d'une sacrée louche de fantaisie. (Petit hommage à Terry Pratchett)