Codéine : Chronique d’un addict

Codéine mon amour, tu m’auras mené aux abysses du Purgatoire

– Codéine. Tu m’as donné l’illusion d’être fort, prêt à affronter les accidents de la vie telle qu’elle existe.

– Codéine, tu m’as rendu si coupable, coupable de me couper, me couper du monde qui m’encercle.

– Codéine, tu m’as suavement absorbé, pour me digérer jusqu’au plus bas point du noyau planétaire.

– Paradoxalement, tu faisais de moi un être calme et aimant. Parfois sage et aidant. Mais le cordon entre tes ronds cachetons et la chimie de mon cerveau doit dès à présent être cisaillée, à la scie sauteuse si cela est nécessaire.

Codéine 3

Cette molécule fait des ravages et la prévention, assez inexistante

Chez le junkie, l’alcoolique, l’addict ou tout autre synonyme vous ravissant, le sevrage est une épreuve épouvantable où vie et mort s’entrelacent. Comme deux serpents oui, l’un blanc, l’un noir, respectivement symboliques des pulsions libidinales et des pulsions de mort. Ne cessant de se mordre la queue et de tenter de planter les crochets gorgés de venin dans le crâne adverse, le malade se retrouve confronté à des émotions cycloniques et profondes, multipliant sa sensibilité par milliers, et générant  occasionnellement des sentiments foncièrement opposés. Conséquence, la confusion s’ancre lourdement.Fondu dans la faiblesse humaine la plus intense et désespérée, il est possible de se sentir invincible. D’avaler, tout rond, une large bouffée d’air afin d’armer les poumons, pour mieux expulser l’oxygène sur le mal qui serpente le sang. Quand le tourment ne nous tue pas, qu’il nous fait se tortiller à terre, à l’instar d’un vulgaire et vulnérable ver de terre, que les articulations se meuvent encore, maladroitement, comme si l’on naissait à nouveau de tout son corps, la désintoxication a la faculté de se métamorphoser temporairement en un macabre challenge. Prendre la douleur en affront, c’est aller à la guerre au front. C’est également prendre le risque de crouler sous les visions noires et opaques intercalées par la désaccoutumance, de mourir ou de revenir mutilé.

 

 

Lundi. Je suis officiellement en rade de Codoliprane, médicament sournois composé de paracétamol et d’une quantité inférieure en codéine. Ayant consommé jusqu’à six cachets par jour, soit 2,4g de paracétamol fracassant harmonieusement mon foie déjà bien amoché, et 120mg de codéine.

Ces deux derniers jours, en guise de prévention, j’ai atténué la dose à trois exemplaires du psychotrope. Trois de trop. Trois cachets qui, curieusement, ne voilaient déjà plus mon mal-être flottant.

Et dès le mardi, entrevoyant les filets de lumière matinaux traverser les volets, l’horreur contracta l’emprise sur mon cœur. Je ne voulais plus me lever. Je ne voulais pas même me réveiller. Rien n’était plus motivant aux abords de cette journée. Je souhaitais moisir dans les méandres de mon lit.

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Tel Sisyphe, je pousse mon rocher inlassablement sans échappatoire

Midi passé, je passe l’épreuve du lever. To do list: allumer le ballon d’eau chaude, nourrir le chat, écraser son médicament en poudre dans sa pâtée, ouvrir les volets. Prendre mon café. Fumer ma clope. Exister, bêtement et simplement. À bout de force, je tente de passer en pilotage automatique, la tête à mille lieues de mes actions et devoirs. Devoirs achevés, je pourrais plonger à nouveau dans la literie et attendre que le jour se couche. Mais, secoué par un sentiment de désespoir et par une angoisse fiévreuse, j’ai tendance à chercher à faire quelque chose, une activité habituelle, pour divertir mon appareil cérébral. Ni une, ni deux, je m’installe alors au bureau, allume ma carte son et mes enceintes, fais manger un disque à l’ordinateur portable puis lance la lecture, afin de regarder les nouvelles offres d’emploi disponibles en région parisienne, en bonne compagnie musicale. Le subterfuge aura occupé deux heures de la journée. Deux heures. Sur vingt-quatre. Que pourrais-je faire d’autre alors que je me sens mourir de l’intérieur, la concentration radiée de mes capacités mentales ? Tant bien que mal, je subirais l’autorité de la désintoxication jusqu’au milieu de la nuit.

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Lentes et cyniques, les ailes de l’Enfer s’ouvrent pour le pire et le pire…

Mercredi est sans aucun doute le jour où la meilleure idée s’est imposée. Plutôt que d’espérer être pris en stop ou de me mettre dix kilomètres aller-retour dans les pattes pour la pharmacie la plus proche, je jette plutôt un œil dans la mienne. Du Loxapac. Ça va marcher. Ça doit fonctionner. Je n’en peux plus, ma vision a régressé de la couleur au noir et blanc. Je prends conscience d’un souvenir lointain à propos d’un article déniché sur la toile, évoquant le rapport entre la codéine et les neuroleptiques tels que le sus-cité. En réfléchissant, j’arrive à la conclusion qu’il serait bénéfique d’en avaler une dizaine de gouttes : cette classe de médicament bloque en masse les récepteurs à la dopamine, certains plus récents également à la sérotonine. La codéine nourrissant forcément l’un des deux neurotransmetteurs puisque génératrice de plaisir, si les liaisons étaient coupées, en toute logique, je devrais être libéré du mal sordide qui me hante littéralement. Ou bien suis-je à côté de la plaque d’un point de vue médical, mais quoiqu’il en soi, trente minutes plus tard, le calme fait doucement surface. Épargné. Je suis épargné par la souffrance.

Bon, pas tout à fait. Les neuroleptiques ont une fâcheuse tendance, selon la molécule et bien entendu le patient, à provoquer de l’akathisie, autrement connu sous le nom de “syndrome des jambes sans repos”. En effet, il est impossible de trouver une position fixe. Le besoin de bouger les jambes, de marcher, tourner en rond, courir s’il le faut, est quasi vital tant la situation est inconfortable, et indépendante de notre volonté. Un calvaire pour un autre donc, qui n’arrangera pas mes prochaines nuits, mais qui me permet de respirer enfin un peu.

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Vivre ou le Styx, difficile de faire la part des choses

Les jours suivants, je prends la décision de me servir deux fois dix gouttes de Loxapac. Le Temesta n’arrangera en rien l’akathisie malgré son caractère myorelaxant. Avec le recul, c’est assez logique puisque ce syndrome est purement cérébral, et non directement musculaire.

Je tente de m’occuper de moi, de m’aider moi-même, de me faire du bien, en bref, du moi moi moi. De la marche, des douches jusqu’à deux fois par jours dans l’espoir vain que les muscles s’apaisent, se forcer à manger décemment, écrire, décrire ce que je vois pour m’exercer à la pleine conscience, chercher un emploi, être dans l’action pour ne point pâtir de l’inactivité, bouffant souvent l’estime de soi .

Une semaine plus tard, je me sens encore affecté par le sevrage et le manque de la molécule. Et, peut-être est-ce l’obscurité mentale qui en découlait, mais plus je me sentais vulnérable, sensible, meurtri, la gorge enflée telle une bombe à retardement, plus je me sentais libre, plus je me sentais fort, plus je me sentais maître de mes émotions, capable d’un acte extra-ordinaire. On m’a un jour dit que chacun avait un don. Peut-être le mien est-il de maîtriser le clavier émotionnel comme un véritable instrument de musique.

Mégalomanie passagère.

Doctor Psychotropic

Crédit de une : trash-of-facts

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Doctor Psychotropic

J'erre entre les molécules et les espaces acculés, cliniques, hôtels, appartements solos de vingt mètres carrés. Pour palper mes os et me sentir exister.

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