Prospecter pour un distributeur de gaz : mentir pour survivre

Vous les connaissez sûrement. Ils toquent à votre porte, se présentent sommairement comme travaillant pour un prestataire de gaz et tentent par tous les moyens de vous faire signer un document… Eux, ce sont des commerciaux (VRP) payés uniquement à la commission et trichent pour survivre.

« On passe pour le gaz, nous sommes chargés de rencontrer tous les locataires ». Cette phrase vous l’avez sans doute déjà entendue, quand vous avez ouvert à un inconnu habillé en costume trois pièces ou en tailleur. Il prétend que vous pouvez payer votre gaz moins cher, et qu’il doit jeter un œil sur vos factures pour vérifier votre consommation. La présentation est ambiguë et la requête assez farfelue…

Vous avez affaire à des commerciaux envoyés par des compagnies privées comme ENI ou Direct Energie. Ils tenteront par tous les moyens de vous faire signer une « mise à jour de dossier », qui est en fait un contrat. Ceci est légal, car le produit n’est pas une arnaque. Il existe et répond aux normes du marché, en revanche la technique de vente est hautement contestable. Je me suis fait embaucher comme prospecteur pour un fournisseur de gaz. Voici ce qu’il est advenu de moi.

Pas de salaire fixe

En recherche d’emploi, je tombe sur une annonce intéressante : « Recherche vendeur en CDI, salaire potentiel supérieur au SMIC, débutants acceptés ». Je postule et reçois un appel le lendemain pour me rendre à un entretien d’embauche. Le rendez-vous est pris, je suis le premier candidat et pénètre vite dans le bureau du directeur d’agence. Immédiatement, le recruteur m’explique le job, m’indique qu’il y a une grande possibilité d’évolution dans l’entreprise et surtout qu’il n’y a pas de rémunération minimum et que les salariés sont payés à la commission. Il m’explique que je vais signer un contrat de VRP multi-carte en CDI. Il me pose quelques questions et dix minutes plus tard, me revoilà dehors.

Le soir même, un nouveau coup de téléphone m’apprend que je suis sélectionné pour une journée d’observation. Le rendez-vous est de nouveau pris, je me présente comme convenu pour démarrer la journée. Un commercial m’emmène sur le terrain, toque à la porte des « potentiels clients » et je comprends tout de suite qui m’a embauché. La technique est rodée, faire croire aux résidents qu’ils ont affaire à des techniciens GDF, gagner leur confiance et leur faire signer un contrat pour souscrire chez un concurrent. Après un peu plus d’une heure de prospection, mon formateur m’annonce que je suis engagé, nous venions de signer un contrat chez un client mécontent de son fournisseur actuel et j’étais intervenu pour favoriser la vente.

On s’installe dans un café et je suis mis au parfum sur le fonctionnement des commissions. Chaque contrat est ainsi payé 10€, avec des primes par palier et un minimum de consommation requis. Il est donc possible de boucler un mois à 2500€ (50 ventes). A la fin du repas, gracieusement payé par mon formateur, il me donne rendez-vous le lendemain pour une journée de formation.

Apprendre à monter une combine

Comme convenu, le matin suivant je retourne à l’agence, et au bout de quelques minutes, je suis entraîné à répéter un discours ficelé au millimètre, en évitant soigneusement d’utiliser les mots « concurrents », « souscription », « contrat » ou « engagement ». Ma formation doit contenir trois ou quatre points théoriques sur la négociation, mais surtout m’apprend à monter une combine. Elle se concentre en plusieurs points. Se présenter succinctement : « Bonjour, on passe pour le gaz », lui apprendre qu’il va payer des factures moins chères : « Nous voulons savoir si vous êtes éligible à une tarification réduite ». Enfin, trouver un prétexte pour pénétrer le domicile : « On doit voir une facture de gaz, je peux entrer pendant que vous cherchez ? ».

La deuxième phase consiste à faire peur ou créer le besoin :  «Votre facture de gaz augmente de 10% tous les ans, ce qui fait que dans 10 ans, vous la paierez avec 100% d’augmentation. » Les chiffres ne sont absolument pas vérifiés, en réalité la hausse du tarif au kwh est effective mais n’atteint pas ces proportions. Ensuite, nous annonçons que heureusement, ils sont éligibles et qu’ils vont pouvoir éviter la hausse. En vérité, tous les consommateurs de gaz sont éligibles, mais les fournisseurs demandent souvent au vendeur d’assumer une moyenne de 10 000kwh consommés par an.

Enfin, les masques tombent et je dévoile mon identité. « Signez chez nous et vous paierez moins cher ». La vente se conclut par une « mise à jour de dossier » qui précise que vous optez pour un  changement de fournisseur…  Le recruteur me donne ensuite une astuce. « Nous n’avons pas le droit de faire signer un foyer qui paye le gaz au Tarif social solidaire (tarif préférentiel mis en place par l’Etat pour les plus faibles revenus). Mais en prenant un échéancier plutôt qu’une facture, le fournisseur n’a aucun moyen de le savoir. » Tout cela est donc bien vicieux.

Chacun son business

Durant cette matinée, mon formateur et directeur d’agence m’explique surtout que je dois penser en entrepreneur, prendre en compte mes frais de déplacement ou de repas pour que ma société personnelle fasse des profits. Car oui, rien n’est défrayé… et aucun salaire minimum n’est garanti. Le but est de vendre plus que son collègue car l’entreprise qui m’emploie attend un minimum de 40 contrats mensuels. Dans l’agence, tout est fait pour booster les vendeurs et la compétition. Une télé affiche en continu les résultats de tous les VRP partout en France, le but : motiver à vendre toujours plus.

Même si la conduite d’une vente idéale, selon l’employeur, est de dévoiler son identité aux prospects après quelques minutes de discussion, le fonctionnement incite à commettre des abus. « J’ai été démarché par un soi-disant conseiller de l’Etat pour contrôler les prix du gaz et payer moins cher », affirme un internaute sur un forum de consommateurs. « Une personne est également venue hier, se faisant passer pour GDF pour me demander mon échéancier. Il est vite apparu qu’il voulait me faire signer un contrat, je lui ai dit que ce n’était pas le genre de choses que je signais sur un coin de table, il a été agressif, insolent, à la limite de l’insulte », renchérit un autre.

Ma matinée se termine, je suis alors convié à prendre un déjeuner et à revenir en début d’après-midi, pour attaquer une formation sur le produit. Je me présente à un commercial formateur qui m’emmène en tournée. Très vite, il estime que je suis prêt à prospecter tout seul. J’ai vite compris qu’il avait besoin de faire ses chiffres. Me voilà seul sur le terrain, sans avoir signé aucun contrat de travail, ni aucune garantie d’être assuré…

Arnaque ou pas… ?

Signer le contrat du prospecteur n’est pas dangereux à court terme car le consommateur dispose de la possibilité légale de se rétracter dans une délai de 14 jours. De plus, pour pallier les plaintes liées à ces techniques de vente, les fournisseurs et sociétés qui y ont recours utilisent un service qualité pour s’assurer que le vendeur a bien informé le consommateur. Mais même malgré cela, des erreurs de dossiers sont possibles et la souscription sera enregistrée. Néanmoins, les réductions ne sont pas garanties, à vous de bien faire attention au prix que vous payez au kwh, aux frais d’abonnement et de faire un calcul astucieux pour savoir si ce que vous propose le commercial est en effet plus avantageux.

Ne vous laissez pas endormir par les discours commerciaux-publicitaires et renseignez-vous bien sur la société en question avant de signer quoi que ce soit. Vous pouvez prendre son numéro de téléphone, par exemple, et lui dire que vous ne signerez rien sans avoir réfléchi à la question. A vous de décider alors, si ce commercial mérite sa commission ou pas.

Attention, souscrire dans une société privée signifie que les prix du gaz sont libres et ne sont plus indexés au tarif réglementé(1), au terme du contrat il peut être vendu à n’importe quel prix. Tous les vendeurs ont un badge d’accréditation qu’ils montrent à la vitesse de l’éclair, parfois devant la porte, parfois lors de la conclusion du contrat. Demandez-le immédiatement si vous voulez être sûr qu’il s’agisse bien d’un commercial et non d’un individu quelconque qui utiliserait cette stratégie pour pénétrer votre domicile.

Conclusion

En ce qui me concerne, n’ayant reçu aucune indication sur ma couverture sociale, mes charges en cas d’accident du travail ou mes indemnités, j’ai décidé de couper court et ne pas signer de contrat. Ayant bien compris que les personnes que j’avais en face de moi étaient  formées pour te faire signer de la merde, je n’ai pris aucun risque.

Crédit de une : C’est arrivé près de chez vous

Une enquête signée Doctor Lamagouille

  • (1) Tarif calculé dans les cellules du gouvernement et renouvelé tous les mois en fonction des fluctuations du cours du baril, les situations géopolitiques ou la stabilité des contrats long terme des producteurs de gaz… Il sert de tarif référence, mais depuis 2007 des fournisseurs sont autorisés à vendre à prix libre, donc moins cher que le tarif réglementé, pour attirer les clients.

Doctor Lamagouille

Jeune JRI et journaliste écrit, et photoreporter. A la fois sérieux et déconneur... chercheur reconnu au CNRS de pépites musicales et cinématographiques. Lamagouille est un gros mangeur de pâtes, passionné de la vie sexuelle des lamas et réalise une collection de timbres datant d'avant 1859.

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